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Maurs la Jolie

La Perle du Cantal

Témoignage de Justine BOS par son fils Roger

Publié le 12 Mai 2017 par Maurs la Jolie in La Rafle 1944

Un autre témoignage sur la rafle de 44 par Roger_15 trouvé sur un forum ou il parle de sa maman Justine BOS...

 

Le 11 avril 2008
Bonjour à toutes, et bonjour à tous,

Voici le témoignage que mon épouse, Josette, a communiqué à la mairie de Maurs (Cantal) en novembre 2003, en vue du soixantenaire de la "rafle" de la Division SS "Das Reich" sur Maurs le vendredi 12 mai 1944. Ce témoignage, ainsi qu'une vingtaine d'autres a été reproduit dans un opuscule paru début mai 2004 intitulé "De mémoire de maursois... 12 mai 1994, la rafle ; afin que le souvenir demeure..." publié par la mairie de Maurs, et remis solennellement à Monsieur le préfet du Cantal le 12 mai 2004 dans une cérémonie publique, en présence des enfants des écoles et du collège.

Tout d’abord je dois dire que les événements du 12 mai 1944 sont les seuls dont ma maman, Justine Bos, m’a parlé dans ma jeunesse. Née le 16 janvier 1905 à Maurs (elle avait donc 39 ans à l’époque), elle ne m’a jamais évoqué la Grande Guerre (celle qu’on appellera ensuite la Première Guerre Mondiale), ni la mobilisation de septembre 1939, ni la défaite de mai-juin 1940, ni la libération de Maurs lors de l’été 1944. Seule “l’attaque des Boches sur Maurs” revenait de temps en temps dans les souvenirs qu’elle me racontait, et que j’écoutais religieusement. Pourquoi cet événement l’a-t-elle tant marqué ? sans doute parce qu’elle croyait avoir, elle-même, ainsi que ses deux neveux et ses parents, échappés de peu à la mort !…

Voici ce que ma maman Justine Bos m’a raconté sur cet épisode guerrier :

En mai 1944 elle tenait la maison familiale de la famille Bos, située au lieu-dit le Moulin du Puech, commune de Maurs, sur la rivière Veyre qui sépare le département du Lot du Cantal. Là, elle était surtout chargée de la cuisine et du ménage. Avec elle il y avait ses parents Frédéric Bos, meunier, âgé de 70 ans (né le 7 mars 1874) et son épouse Eugénie Lavergne, meunière, du même âge (née le 21 juillet 1874). Ils avaient eu cinq enfants, tous nés à Maurs : l’aînée Maria Bos (née le 4 mars 1902), Justine Bos (née le 16 janvier 1905), Germain Bos (né le 25 novembre 1905) et la plus jeune, Aurélie Bos, (née le 6 décembre 1908). Maria était bougnate à Paris, elle avait confié son fils Lucien Robert (né le 10 septembre 1926, donc âgé de 17 ans et demi en mai 1944) à ses grands-parents du Moulin du Puech. Justine était la seule célibataire de la fratrie, “ elle était de reste ” comme on disait à l’époque en parlant des demoiselles ayant dépassé la trentaine et non mariées. Germain, déjà marié, était prisonnier en Allemagne. La plus jeune, Aurélie, la gastadou (la gâtée) disait d’elle ma mère, travaillait à Paris avec son mari Baptiste Sainte-Marie (curieusement tout le monde l’appelait Arsène) et elle aussi avait confié son fils unique Edmond Sainte-Marie (né le 21 juillet 1936, donc âgé de 7 ans et demi) à ses grands-parents au Moulin comme les Bos disaient. En fait, vu l’âge des grands-parents, c’est Justine qui veillait sur ses deux neveux, dont l’aîné était assez turbulent, alors que le plus jeune était obéissant et adorable.

Que savait-on de l’évolution de la Guerre au Moulin ? Eh bien, curieusement, dans cet endroit très isolé (même en 2004 c’est assez difficile à le trouver, malgré les panneaux indicateurs), on était très au courant des événements internationaux ! Cela grâce à l’arrivée du courant électrique juste avant la guerre. Les voisins des Bos, du côté du Lot, les deux frères Garceau, André et Gilbert, que j’ai rencontré bien des années après, alors qu’ils venaient de cesser leur activité de restaurateurs dans une petite brasserie de Bourg-la-Reine (au sud de Paris, à 4 kilomètres de la porte d’Orléans), tout à côté d’où vivait Edith Boulogne (née Arnold), la maman de l’acteur Alain Delon, m’ont dit qu’ils avaient été émerveillés par l’arrivée du courant électrique au Moulin du Puech, et avaient tenté, hélas vainement, d’obtenir de la compagnie locale d’électricité (la future EDF) le prolongement des fils électriques par des poteaux enjambant la rivière Veyre et arrivant à leur maison située au Causse, hameau lotois de Cavanié, commune de Saint-Cirgues. L’employé de l’électricité a refusé catégoriquement que le courant électrique du Cantal éclaire une maison d’un autre département !…

Pendant la guerre, ma maman m’a dit que c’était vers 1942 (mais elle n’était pas certaine de la date) qu’un instrument est venu trôner sur le buffet de la pièce principale du Moulin (à la fois cuisine et salle à manger) : un poste de TSF, comme on disait à l’époque pour parler des postes de radiodiffusion. D’après ce que m’a rapporté ma maman c’était le patriarche Frédéric qui avait seul le droit de toucher au poste et de choisir la station écoutée. Je ne suis pas sûre que son neveu le plus âgé ne touchait pas aux boutons du poste lorsqu’il avait le dos tourné. Le midi et le soir les cinq membres de la famille Bos écoutaient, émerveillés, les nouvelles du monde. J’en profite pour donner une précision : beaucoup de gens affirment, sans doute influencés ultérieurement par les films de cinéma sur l’époque de l’occupation, qu’ils écoutaient évidemment … radio Londres. Eh bien, au Moulin, outre bien sûr la radiodiffusion de l’Etat Français depuis Vichy, et radio Paris sous contrôle allemand, on captait (sans les brouillages allemands sur les fréquences de radio Londres) radio Sottens, le programme en français de la radiodiffusion suisse romande. Leurs informations étaient nettement plus objectives que celles diffusées par les stations britanniques ou pro-allemandes !…

Le vendredi 12 mai 1944, donc lendemain du jour de marché à Maurs, un voisin du Moulin arrive de bon matin en courant (ma maman a du me dire de qui il s’agissait, mais j’ai hélas oublié, sans doute quelqu’un de Lacamp, de la Maurelle ou de Haute Vue) pour prévenir que les "Boches" (on ne disait pas alors les Allemands) avaient attaqué Maurs et fouillaient toutes les demeures des environs. Ce voisin était en train de fuir et conseillait vivement aux Bos d’en faire autant très rapidement pendant qu’il était encore temps ! Frédéric et Eugénie Bos ont pris alors très rapidement la décision de sauver leurs deux petits-enfants et de les confier à leur fille Justine : tous les trois devaient immédiatement s’enfuire quelque part dans les barthes (les bois). Eux-mêmes resteraient au Moulin, pensant que leur âge avancé ferait hésiter les "Boches" à les exécuter. Ma maman Justine (Titine pour ses deux neveux) avait, bien des années après, des larmes aux yeux et des sanglots dans la voix en évoquant devant moi la dernière embrassade avec ses parents qu’elle était persuadée de ne jamais revoir. Justine et ses deux neveux sont restés trois jours et trois nuits cachés dans les bois, au milieu des fougères. Ils ont alors décidé de revenir au Moulin, par chance Frédéric et Eugénie étaient vivants, les "Boches" n’étaient même pas venus dans les environs du Moulin !… Quel soulagement !…

Soixante ans ont passé, les Boches sont devenus les Allemands, nos associés dans la construction de l’Europe de demain ; c’est quand même beaucoup mieux ainsi que les trois guerres meurtrières que nos deux pays ont fait l’un contre l’autre, en 1870-1871, 1914-1918 et 1939-1945. De ce pénible épisode du 12 mai 1944 je voudrais que les jeunes Maursois de 2004 ne retiennent qu’une seule chose : quelle stupidité la guerre !…

Josette, la fille de Justine Bos.

Dans cet opuscule, les témoignages sont passionnants. Les Maursois ont lors de cette rafle découverts que certains parmi ces "Boches" étaient en réalité des Alsaciens-Mosellans incorporés de force dans cette Division "Das Reich". Et durant cette pénible journée où tous les hommes valides ont été regroupés dans une prairie, ignorant quel allait être leur sort, ces très jeunes "malgré nous" ont été non seulement des "interprètes", mais même des "avocats" des pauvres regroupés auprès de leurs supérieurs allemands.

Cet opuscule a osé lever un tabou : il a félicité le maire de l'époque, nommé par Vichy, Raymond Puech, ancien combattant de la guerre 1914-1918, qui n'a pas hésité à affronté verbalement les autorités allemandes, en arborant fièrement ses décorations obtenues lors de la "Grande Guerre" (ce qui les a intimidés...), pour obtenir qu'elles relâchent un à un certains otages. Hélas , il n'a rien pu faire pour les otages Juifs, et ceux dénoncés comme Résistants... ils ont été envoyés en camp de concentration en Allemagne, d'où beaucoup ne sont pas revenus...

La bourgade de Maurs, qui avait totalement été épargnée par la guerre jusqu'alors, a eu un réveil très douloureux pour elle ce 12 mai 1944 à cinq heures du matin...

Roger le Cantalien.

Roger_15 du Forum Histoire-Passion

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